Black Friday

décembre 14, 2009

La consommation est pour l’Amérique une drogue et le Black Friday le premier jour d’un long mois de dépendance.

Le dernier jeudi du mois de novembre, les Américains se rassemblent en famille pour célèbrer Thanksgiving et partager les mets que consommèrent leurs ancêtres à leur arrivée aux Etats-Unis. Ils rendent grâce (« thanks »). Thanksgiving déclenche tous les ans les plus amples mouvements de population de l’année et la consommation de milliers de tonnes de dinde. Le lendemain de Thanksgiving, chômé dans la plupart des entreprises, engendre lui aussi des vagues de déplacements : c’est le traditionnel Black Friday.

Clin d’oeil au Black Thursday, ce 24 octobre fameux pour avoir été le premier jour de la crise de 1929, le Black Friday génère un autre type de panique, celle du consommateur. Le Black Friday est pour le commerce le premier jour de la saison des fêtes, qui donne lieu à une débauche de promotions et de bonnes affaires qui durent jusqu’au dimanche soir suivant ou plus souvent jusqu’à épuisement des stocks. Le jour de Black Friday, qui a été longtemps le plus gros jour de ventes de l’année, les magasins ouvrent généralement à 5h00 du matin mais de plus en plus d’enseignes accueillent dès minuit un public toujours plus nombreux.

Les chaînes de télévision interviewent tous les ans des clients enveloppés dans des sacs de couchage qui attendent l’ouverture de leur magasin pour acheter les « door crashers », ces produits d’appel qui s’étalent dans les millions de dépliants publicitaires distribués avant le jour J. Les door crashers, littéralement les produits pour lesquels on écrase les portes des magasins, n’ont jamais aussi bien porté leur nom qu’en 2008 où un client est mort à l’ouverture d’un Wal-Mart, écrasé par la pression de la foule.

En 2009, les consommateurs américains ont effectué 195 millions de visites dans les magasins pendant le weekend de Black Friday et plus de 30 millions d’entre eux ont dépensé en moyenne $343.31 par personne. Si le montant est important, c’est qu’on n’achète pas que des jeans à $10 ce jour-là. On fait surtout des emplettes d’électronique, beaucoup d’electronique, mais aussi de bijoux, de produits de luxe, d’electro-ménager dont on a repoussé l’achat jusqu’à ce jour, et d’une infinité d’objets carrément superflus. C’est le jour où acheter le cinquième ou le sixième (voire le cinquième ET le sizième) téléviseur de la maison, le fauteuil à écouteurs d’iPod intégrés ou la colonne trois fours (3 !) pour la cuisine. Le montant total des ventes du weekend ($10.66 milliards en 2009) donne réellement son nom à la journée : c’est à partir de là que les commerçants ont amorti leurs frais fixes et commencent à gagner de l’argent, passant ainsi du rouge (les pertes) au noir (le bénéfice).

Le weekend de Thanksgiving laisse la place le lundi suivant au Cyber Monday, qui tente de répliquer la frénésie du Black Friday en version Internet. Mais Cyber Monday n’est pas le plus gros jour de ventes sur Internet qui se situe plutôt vers le 10 décembre, juste avant qu’il ne soit trop tard pour être livré à temps pour Noël.

Si Black Friday a longtemps été une indication du niveau de ventes de la saison entière et donc de la profitabilité de l’année, la crise de 2008 a remis en cause la justesse des prévisions. Après de surprenantes ventes en hausse de 3% le weekend fatidique de 2008, malgré la panique financière des deux mois précédents, les ventes de la semaine suivante ont baissé de 18%, et celles de la saison de 14%, forçant les commerçants à de ruineuses ristournes. Le dernier samedi avant Noël est dorénavant le jour le plus important de ventes de l’année. Le consommateur qui procrastine en attente de promotions a eu raison du commerçant qui doit attendre maintenant la toute fin d’année pour évaluer sa rentabilité.

La saison de Noël 2009 a commencé pleine d’incertitudes quant au niveau de dépenses des consommateurs dont l’économie américaine a pourtant un cruel besoin. Alors qu’elle ne représente que 50% du PIB français, la consommation est de loin la première contributrice au PIB américain avec 70% de l’agrégat. Aussi voit-on fleurir dans la presse des appels à consommer, devoir patriotique du citoyen. Joe Quennan, dans le Wall Street Journal du 28 novembre 2009, rappelait que l’Amérique ne comptait pas parmi les valeurs à brocarder « la sensation de se sentir financièrement serré », et que le lecteur serait bien inspiré de se laisser tenter par un sauna individuel à infra-rouges à $999, une moto pour enfant à $299 ou des lunettes 3D garantissant une experience Imax pour $229. A bon entendeur…